
On a tous liké ce post LinkedIn. Celui qui promettait "10 prompts ChatGPT qui vont faire de vous un PM augmenté". On a même donné notre email pour télécharger le PDF. Il est quelque part dans nos Downloads, entre deux factures et un guide IKEA. On ne l'a jamais ouvert.
C'est notre petite honte moderne. On accumule des prompts. Des templates. Des "ultimate guides". Le camelot moderne a une newsletter Substack et 5k followers. On continue de télécharger. Comme si le prochain PDF allait tout changer. Comme si l'augmentation IA était un produit qu'on pouvait installer.
Sauf que l'augmentation d'un PM fintech qui optimise des flux de paiement n'a rien à voir avec celle d'un PM marketplace qui jongle avec des vendeurs paniqués. C'est comme donner la même carte à tout le monde pour rentrer chez soi. Certains habitent Paris, d'autres Anchorage. La carte ne sert à rien si on ne sait pas où on est.
Ce qui suit est une tentative de cartographie. Pas LA carte. Juste des repères pour que vous dessiniez la vôtre.
J'ai découvert ce chiffre et il m'obsède depuis : 72% du temps "économisé" par l'IA ne se convertit pas en productivité réelle¹. Une analyse massive le confirme. Cette "productivity leak" varie de 40% à 80% selon les rôles.
Nous automatisons la création de nos user stories. Deux heures deviennent vingt minutes. Magnifique. Ces 1h40 "libérées" ? Elles disparaissent dans plus de meetings, plus de documentation que personne ne lira. Plus de la même chose qui ne servait déjà à rien, mais en quantité industrielle maintenant.
C'est le paradoxe de Jevons édition digitale. Au 19ème siècle, les machines à vapeur sont devenues plus efficaces. Logiquement, on aurait dû consommer moins de charbon. L'inverse s'est produit : la consommation a explosé. Normal. Quand quelque chose devient presque gratuit, on en abuse. C'est exactement ce qui nous arrive. Les PRDs prennent 20 minutes au lieu de 2 heures ? On en fait trois. Les analyses sont instantanées ? On en demande cinq variantes. Le temps gagné s'évapore dans sa propre abondance.
On a mis l'IA sur nos workflows pourris sans jamais les questionner. Comme ajouter un moteur Ferrari à un caddie de supermarché. Ça va plus vite, mais ça reste un caddie.
Premier réflexe à avoir: regardez vraiment ce que vous faites. Cartographiez vos workflows actuels. Mais pas comme d'habitude. Séparez en deux colonnes : "production" et "décision". D'un côté, tout ce qui génère, compile, formate - les tâches où vous êtes une imprimante biologique. De l'autre, ce qui nécessite jugement, validation, arbitrage. La seconde, c'est vous et votre organisation. Si vous ne distinguez pas les deux, vous allez juste produire dix fois plus de trucs à valider. Félicitations, vous venez de créer votre propre enfer.
Adam Rymer est backcountry ranger à Glen Canyon National Park. Pas Product Manager chez une licorne. Ranger. Dans l'arrière-pays. Là où il n'y a même pas de wifi. Pourtant, son approche de l'IA est maintenant enseignée à Stanford².
Sa révolution tient dans une question qu'aucun de nous n'a pensé à poser. Au lieu de dire à ChatGPT "écris-moi un document de demande de budget", il a demandé : "Comment peux-tu m'aider dans mon rôle ?"
L'IA lui a retourné la politesse. Elle a posé des questions : "Quels aspects de ton travail sont les plus chronophages ?" "Quelles exigences spécifiques dois-tu respecter ?" "Décris-moi ton processus actuel étape par étape"
En fait, Adam passait des jours sur des demandes de budget. Pas le contenu - ça il savait. Mais jongler entre normes OSHA, codes fédéraux et guidelines du Park Service. L'IA a compris le puzzle.
Résultat : au lieu d'un template générique, Adam a co-créé avec l'IA une solution qui intégrait toutes ces contraintes. Ses collègues l'ont adoptée immédiatement. Pas parce qu'on leur a imposé un nouvel outil. Parce que ça résolvait vraiment leur problème.
Jeremy Utley de Stanford le résume : "L'orientation fondamentale que beaucoup adoptent, c'est 'Je pose les questions, l'IA donne les réponses.' Mais si vous pensez à l'IA comme un coéquipier, vous dites 'Quelles sont les dix questions que je devrais poser ?'"
Nous traitons l'IA comme un distributeur automatique de contenu alors qu'elle pourrait être notre sparring partner intellectuel.
Second réflexe à adopter : arrêtez de chercher le prompt parfait (la console Anthropic le fait déjà gratuitement mieux que vous). Commencez par demander plus souvent à l'IA (systématiquement en fait) de vous poser des questions. C'est elle qui interroge, vous qui clarifiez votre pensée en répondant. On passe tous des heures à peaufiner nos prompts alors qu'on pourrait passer cinq minutes à répondre aux bonnes questions.
On ouvre ChatGPT 47 fois par jour. Toujours avec le même réflexe pavlovien : "Génère-moi X". Comme si on commandait un café au distributeur. Appuyer sur B4. Attendre que ça tombe. Normal que ça ait le goût de café de distributeur.
Voici le renversement que personne ne fait : traitez votre augmentation IA comme un produit. Laissez-l'IA faire la discovery de vos irritants, construire votre opportunity tree. Elle devient votre PM. Elle vous pose les questions que vous posez aux autres : "Quels sont tes trois plus gros pain points cette semaine ?" "Quelle friction revient systématiquement ?" "Si on devait prioriser une seule amélioration, laquelle aurait le plus d'impact ?"
C'est bizarre au début. Comme la première fois qu'on s'entend sur un enregistrement. Vous devenez l'user de votre propre transformation. L'IA fait pour vous ce que vous faites pour les autres : identifier, prioriser, solutionner. Sauf qu'on ne fait jamais ça. On arrive avec notre solution. Comme ces stakeholders qu'on déteste, ceux qui débarquent avec LA feature à développer au lieu d'expliquer leur problème.
La question finale à poser à votre IA lorsque vous lui aurez donné assez de contexte : "En regardant mon rôle de PM, quelles questions devrais-je te poser que je ne pense pas à poser ?" Préparez-vous. C'est comme demander à quelqu'un de vous dire vos défauts. Nécessaire mais désagréable.
En 2024-2025, des outils IA pour PMs ont explosé. BuildBetter.ai promet 18 heures économisées par sprint³. ChatPRD accélère les PRDs de 75%⁴. June AI transforme trois jours d'attente data en 30 minutes⁵.
Le secret que les vendeurs de SaaS ne vous diront jamais : les PMs qui réussissent utilisent 2-3 outils à fond. Pas 10 outils à 20%. 68% des startups ont ChatGPT payant⁶. 59% des grandes entreprises restent sur la version gratuite⁷. La différence ? L'agilité, pas le budget.
Choisissez selon votre vraie douleur. Si vous passez votre vie à écrire des specs, ChatPRD. Si vous attendez toujours la data, June AI. Si personne ne sait ce qu'on fait, BuildBetter. Mais n'accumulez pas. Un outil maîtrisé vaut mieux que cinq mal utilisés.
La transformation suit des phases reconnaissables. Pas une timeline rigide, mais un cheminement organique qui ressemble au double diamant du design : diverger pour explorer, converger pour stabiliser.
Phase d'exploration : Vous testez tout. Copiez des prompts Reddit. Téléchargez des PDFs de "100 prompts essentiels". Rien ne marche vraiment. C'est le chaos nécessaire.
Phase de stabilisation : Des patterns émergent. Vous découvrez qu'un simple "Que dois-tu savoir sur mon contexte pour bien répondre ?" transforme les réponses génériques en conseils actionnables.
Phase d'intégration : L'IA n'est plus un outil externe mais une extension de votre pensée. Comme Strapi qui confie déjà 25% de ses tickets support à des agents IA⁸.
Plus l'IA devient capable, plus votre valeur humaine augmente. Mais seulement si vous arrêtez de faire semblant d'être une machine. L'augmentation réussie ne vous rend pas plus robotique. Elle vous rend plus humain en vous libérant pour naviguer l'absurdité de nos organisations.
Dans trois mois, vous aurez construit votre système. Pas celui du livre blanc. Le vôtre, adapté à vos frictions. Ou vous serez toujours en train de chercher le prompt parfait sur LinkedIn.
Vous passerez moins de temps à produire des documents que personne ne lit. Plus de temps à comprendre pourquoi personne ne les lit. Moins de réunions de coordination. Plus de temps à questionner pourquoi on a besoin de tant de coordination.
Le plus ironique ? Vous aiderez ceux qui cherchent encore le prompt parfait. Pas avec des templates, mais en leur apprenant à poser les bonnes questions. L'ancestral "apprendre à pêcher", version digitale.
La transformation commence par une question simple que personne ne veut se poser mais que l'IA a posé au ranger Adam Rymer : "Quelle est LA friction qui te pourrit vraiment la vie et que je pourrais attaquer cette semaine ?"
Vous avez la réponse. Vous l'avez toujours eue. C'est juste que maintenant, vous avez un partenaire parfois sous hallucinogènes mais brillant pour vous aider. Et surtout, vous savez protéger le temps qu'il vous fait gagner.
Bienvenue dans votre augmentation;