Votre job va disparaître et c’est arrivé il y a un an.
Si l’on regarde la manière dont on l’exerçait au début des années 2020, notre métier de Product Manager est déjà mort. Mais nous sommes toujours là. Sauf que maintenant, on orchestre quelque chose de complètement nouveau. Quelque chose qu'on invente chaque matin en ouvrant ChatGPT.
Huit Product Managers sur dix font pareil¹. Les deux autres ? Ils sont comme ces collègues qui imprimaient leurs emails en 2005. Touchants. Perdus. Bientôt remplacés.
Rien ne change. Mais tout est déjà différent.
Nos parents avaient des métiers qu'on pouvait expliquer à Noël. Médecin. Comptable. Prof. Nous, on "manage des products". Des produits qui sont en fait du code. Du code qu'on ne comprend pas vraiment. Pour des utilisateurs qu'on rencontre - pour les plus chanceux d'entre nous - une fois par trimestre sur Zoom, toujours avec leur caméra éteinte.
Et maintenant ? L'IA fait ce qu'on passait des heures à faire. Elle génère 12 user stories à la volée là où on peinait à en produire 4 ou 5². Elle analyse des feedbacks par centaines pendant qu'on entretient notre dépendance à la caféine.
Mais voici le secret que personne n'avoue en standup : le vrai bottleneck n'a jamais été la production. Il était - il est toujours - dans ces moments profondément, désespérément, magnifiquement humains. Cette promesse impossible faite en démo client qui devient soudain la deadline du trimestre. Ces deux équipes qui ne se parlent plus depuis un incident dont personne ne veut parler. Cette feature qui génère 50% des tickets support mais qu'on garde parce qu'elle a été vendue comme différenciateur clé à nos plus gros clients. Cette roadmap Frankenstein qu'on a créée pour que chaque stakeholder y retrouve son pet project, même si l'ensemble n'a plus aucun sens. Cette incapacité collective à dire "non, on ne fait pas ça" parce que personne ne veut être celui qui déçoit.
L'IA peut analyser un million de données. Elle ne peut pas analyser le silence gênant quand quelqu'un demande "mais pourquoi on fait ça déjà ?"
Et c'est là que ça devient intéressant. Parce que si l'IA fait la production, nous, on peut enfin faire le vrai boulot. Celui qu'on a toujours prétendu faire mais qu'on n'avait jamais le temps de faire vraiment. Naviguer ces eaux troubles. Dénouer ces nœuds humains. Transformer ce chaos en quelque chose qui ressemble à une stratégie.
Nous ne sommes plus des producteurs de documentation. Nous sommes devenus des traducteurs de silences.
Avant - disons 2020, cette année qui semble maintenant appartenir à une autre civilisation - un PM passait 40% de son temps sur la documentation⁸. Deux jours complets par semaine à écrire des specs que trois personnes lisaient vraiment. C'était notre mythe de Sisyphe personnel : pousser des Google Docs en haut de la montagne pour les voir redescendre au prochain pivot.
Maintenant ? 10% du temps. Une demi-journée. L'IA fait le reste en 45 minutes².
Une journée et demie libérée. Pour quoi faire ?
La tentation : produire 1,5 fois plus de specs. L'erreur classique du nouvel enrichi qui achète deux Rolex parce qu'il a deux poignets. C'est comme dire qu'avec l'invention du lave-vaisselle, on allait manger dans 1,5 fois plus d'assiettes. Non. On a juste commencé à faire autre chose de nos soirées.
Spotify a 50 millions de morceaux, 90% des écoutes se concentrent sur 10 000. Notion pourrait avoir 500 fonctionnalités, ils n'en ont que 50. Le message est clair : les utilisateurs ne veulent pas plus. Ils veulent mieux.
Les Product Managers qui ont compris passent cette journée et demie à faire ce que l'IA ne peut pas : écouter le silence gêné dans un meeting. Sentir qu'une équipe est au bord du burnout. Comprendre pourquoi ce client qui représente 2% du CA influence 50% de votre marché. Transformer une réunion d'alignement ratée en trois conversations qui débloqueront vraiment le projet.
Nous sommes devenus des anthropologues corporates. Des shamans du consensus. Des traducteurs entre mondes qui ne se comprennent pas.
L'Intelligence Synthétique - Ou l'art de parler à une machine qui a lu tout Internet mais n'a jamais assisté à une retrospective désastreuse. Les meilleurs PMs obtiennent des outputs 3x meilleurs avec les mêmes outils⁹. Pourquoi ? Ils ont compris que prompter, c'est comme expliquer ton métier à ta grand-mère : il faut du contexte, de la patience, et accepter qu'elle va quand même tout comprendre de travers.
L'Intelligence Critique - Le "Bullshit Detector 3000™". L'IA invente des stats dans 15% de ses réponses¹⁰. Elle propose des solutions techniquement parfaites mais politiquement suicidaires. Elle génère des roadmaps magnifiques qui ignorent que votre concurrent vient de lever 50M€. Développer ce sixième sens, c'est comme apprendre à reconnaître les faux sacs Vuitton : une fois qu'on sait, on ne peut plus ne pas voir.
L'Intelligence Contextuelle - Le trésor que l'IA ne pourra jamais piller. Pourquoi le projet X a traumatisé toute l'équipe il y a deux ans. Pourquoi cette feature mineure cause 30% du churn. Pourquoi personne n'ose contredire Kevin même quand il a tort. C'est notre avantage compétitif ultime : nous savons des choses qui ne sont écrites nulle part.
L'IA ne travaille plus pour nous à heures fixes. Elle travaille avec nous, tout le temps, comme une pensée parallèle qui ne s'éteint jamais.
Le matin, pendant que le café infuse, elle a déjà lu mes 47 emails non lus, mes 12 tickets support, et ce document Google que quelqu'un a partagé à 23h47 (?!). Pas pour me faire un résumé. Pour me dire : 'Le vrai feu à éteindre, c'est là, dans ce thread Slack où deux équipes sont en train de construire la même feature sans le savoir.'
La préparation du meeting de 14h ? Avant, j'aurais passé 2 heures à compiler des sources. Maintenant, l'IA fait la review pendant que je finis mon croissant. Elle ne me donne pas 50 liens. Elle me dit : 'Voici les trois arguments qui devraient résonner avec ton audience.'
Le soir, au lieu de transformer moi-même mon PRD en 25 User Stories sur Jira, l'IA le fait en 3 minutes. Mais le vrai gain n'est pas le temps. C'est qu'elle assigne les bonnes personnes, avec les bons messages slack individuels pour demander si elles ont des questions, en tenant compte du fait que Sarah est en congé la semaine prochaine et que Tom déteste les tâches sans contexte¹¹.
Ces rituels totalisent 3 heures d'IA par jour¹². Pas 3 heures à prompter frénétiquement. 3 heures où l'IA travaille pour toi. C'est notre pacte faustien moderne : on échange notre ancienne expertise contre une nouvelle forme de pouvoir.
Le PM le plus augmenté n'est pas celui qui maîtrise le mieux ChatGPT. C'est celui qui comprend où ChatGPT devient aveugle.
L'IA ne sait pas "sentir l’ambiance d’une réunion". Ne sent pas qu'une équipe est fragile. Ne comprend pas pourquoi ce petit bug que personne ne veut fixer est en fait le symptôme d'un problème organisationnel profond. Elle génère des solutions parfaites pour des problèmes qui n'existent pas, et rate complètement ceux qui comptent vraiment.
C'est précisément cette zone aveugle qui va créer le grand tri.
Dans 18 mois, le marché sera clivé : d'un côté, les PMs qui produisent 10x plus de documents que personne ne lit. De l'autre, ceux qui créent 10x plus de valeur en naviguant ces angles morts. Les premiers seront remplacés par un agent N8N. Les seconds auront cette chose rare : l'impact visible. Des équipes qui comprennent pourquoi on fait ce qu'on fait. Des features qu'on lance parce qu'elles ont du sens, pas parce qu'elles étaient dans un PowerPoint.
90% des PMs français utilisent l'IA¹³. Mais seulement 20% en ont fait une priorité absolue¹⁴. C'est votre moment. Votre fenêtre. Votre chance de passer du côté des orchestrateurs avant que ça devienne la norme.
Utiliser l'IA est déjà aussi banal qu'utiliser Google. Dans un an, ne pas maîtriser son utilisation sera aussi bizarre que taper des URLs complètes dans la barre d'adresse. Dans deux ans, les PMs non-augmentés seront des curiosités muséales, comme ces gens qui utilisent encore des Blackberry (oui, ils existent).
Le papillon sort de sa chrysalide maintenant. La question n'est pas de savoir si vous allez déployer vos ailes. C'est choisir à quelle altitude vous voulez voler.
Parce que voici le secret final : nous ne sommes pas en train de sauver nos jobs ni de les réinventer. Nous sommes en train de nous réapproprier notre rôle. Un rôle qu'on ne peut toujours pas expliquer à nos parents.
Nous sommes la génération charnière. Celle qui a connu l'avant et qui construit l'après.
Bienvenue dans l'après.
¹ Enquête Le Ticket, septembre 2025 - "Grande enquête IA & Produit" - 1031 professionnels du Product Management
² Parikh, N. (2023) - "Empowering Business Transformation - The Positive Impact and Ethical Considerations of Generative AI in Software Product Management: A Systematic Literature Review" - 30-40% de réduction sur le temps de documentation
³ ProductInCorp Summit 2025 - Citation : "3 heures par jour, pas 1 ping par semaine"
⁴ Peng, S. et al. (2023) - "The Impact of AI on Developer Productivity: Evidence from GitHub Copilot"
⁵ Lenny's Newsletter, août 2025 - "25 Proven Tactics to Accelerate AI Adoption at Your Company"
⁶ Lenny's Newsletter, août 2025 - "25 Proven Tactics to Accelerate AI Adoption at Your Company"
⁷ Lenny's Newsletter, août 2025 - "25 Proven Tactics to Accelerate AI Adoption at Your Company"
⁸ Parikh, N. (2023) - "Empowering Business Transformation - The Positive Impact and Ethical Considerations of Generative AI in Software Product Management: A Systematic Literature Review"
⁹ Enquête Le Ticket, septembre 2025 - "Grande enquête IA & Produit" - Écart de performance selon maîtrise
¹⁰ Brand, J., Israeli, A., & Ngwe, D. (2023) - "Using GPT for Market Research" - Problème des "hallucinations" dans les LLMs
¹¹ Inspiré des vraies pratiques présentées dans "A Day with Claude" - https://youtu.be/oqUclC3gqKs
¹² ProductInCorp Summit 2025 - Compte-rendu Le Ticket
¹³ Enquête Le Ticket, septembre 2025 - "Grande enquête IA & Produit"
¹⁴ Enquête Le Ticket, septembre 2025 - "Grande enquête IA & Produit"
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